Prévision d’ici quelques années : le chocolat deviendra un produit de luxe… Et si vous deviez troquer votre petit sac Chanel contre une tablette ?
La rumeur se répand depuis plusieurs mois. Le chocolat deviendrait une denrée rare et évoluerait plus encore en véritable produit de luxe. Certains articles de presse n’hésitent pas à parler de pénurie de cacao. Avec une échéance qui tournerait autour de 2020, relayant la prédiction de la très officielle Organisation internationale du cacao (ICCO). Selon l’ICCO, la demande sera supérieure à la production dans les cinq prochaines années. Autant dire demain. Risque réel ou pessimisme abusif, le problème semble avant tout économique.
Il y a tout d’abord un constat : le prix du cacao est passé de 2100 dollars la tonne en mars 2013 à plus de 3000 dollars un an plus tard. Cette hausse de 15% traduit une tension tangible entre l’offre et la demande sur le marché mondial. Selon François Ruf, économiste au centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), ce renchérissement de l’or brun est loin d’être alarmant : « Le marché du cacao a toujours fonctionné par cycle. Nous sommes dans une lente remontée après une forte chute des prix mais nous n’avons pas encore atteint le niveau historique. » Les variations de prix des matières premières sont très courantes dans l’histoire de l’agriculture, directement dépendantes des aléas météorologiques et politiques. Mais cette fois-ci, la tendance pourrait se prolonger.
La hausse des prix sur le marché du cacao est avant tout due à la baisse des stocks, alimentée par la crainte des industriels de devoir acheter un cacao de plus en plus cher. En clair, la rumeur de pénurie renforce la spéculation sur un marché déjà très sensible à ce phénomène. Les stocks baissent car l’offre de cacao évolue moins vite que la demande.
Aujourd’hui, quatre millions de tonnes de cacao sont avalés chaque année aux quatre coins du globe, soit un tiers de plus en dix ans.
Cet engouement est alimenté par de nouveaux consommateurs. Les ventes en Chine ont progressé de près de 7% en 2013 selon Euromonitor. Faut-il pour autant avoir peur de l’appétit du dragon ? « Les tendances alimentaires sont très lentes à évoluer. Avant que la Chine ne mange du chocolat comme nous, on aura le temps de trouver de nouvelles zones de production », relativise Olivier de Loisy, directeur de la Chocolaterie de l’Opéra. En outre, les Chinois consomment actuellement surtout de la poudre de cacao utilisée dans les barres et peu de chocolat noir.
Cette tension sur les prix en dit long sur la nature des enjeux qui secouent le petit monde du cacao. L’Afrique de l’Ouest produit à elle seule 70% des fèves. Deux pays font la pluie et le beau temps sur ce marché : la Cote d’Ivoire et le Ghana. Or le vieillissement des plantations en Afrique inquiète : « Le moteur de la croissance cacaoyère s’essouffle. Les sols s’appauvrissent, les réserves de forêts s’amenuisent. Il n’est plus possible de défricher comme avant pour récupérer l’humus si précieux pour la pousse des arbres. Il faudrait fertiliser les sols et utiliser du matériel végétal plus sophistiqué », analyse Francois Ruf. Autrement dit, pour maintenir, voire augmenter la production africaine, il faut investir massivement dans les plantations.
« Si la hausse du prix du cacao se poursuit, c’est peut-être une chance pour l’Afrique, pour qu’enfin le progrès technique passe ! »,
Un cacao vendu plus cher pourrait également ralentir l’hémorragie actuelle vers des cultures plus lucratives. En Afrique, l’hévéa fait de l’ombre au cacao. En Indonésie, troisième producteur mondial, les planteurs se tournent vers le palmier à huile. Sans parler des insectes ravageurs ou des maladies qui régulièrement viennent frapper certaines productions et fragilisent l’économie de ce secteur.
Peut-on pour autant envisager une pénurie en 2020 ? Les artisans chocolatiers démontent ce scénario : « A l’intérieur de la profession, l’idée d’une pénurie nous fait bien rire, confesse Olivier de Loisy, car c’est une notion extrêmement violente qui signifie un état de crise majeur et on est loin de ce cas de figure ». Les chocolatiers misent sur la découverte de nouvelles aires de production comme ce fut le cas pour le Vietnam. Et certaines zones disposent d’un potentiel sous exploité. « L’Afrique a des rendements extrêmement bas, 300 kg à l’hectare, parfois dix fois moins qu’au Pérou, au Brésil ou en Indonésie », explique Stéphane Bonnat, chocolatier à Voiron, allant dans le sens de François Ruf. Augmenter le rendement des cacaoyers passe par la recherche et le développement. Les industriels comme Mars, Nestlé ou Mondelez l’ont bien compris et expérimentent des techniques comme le clonage pour faire pousser des arbres en 18 mois au rendement élevé. « Si on arrive à motiver les planteurs, on peut trouver de nouvelles ressources pour faire face à la demande mondiale», affirme Stéphane Bonnat.
Balayant l’idée de pénurie, les artisans chocolatiers partagent toutefois l’hypothèse d’un surenchérissement du cacao. Si la denrée s’achète plus cher à l’avenir, le marché mondial risque de se scinder entre le chocolat haut de gamme et un autre, moins qualitatif et moins onéreux. Les gros fabricants de chocolat ont stratégiquement commencé à réduire les quantités de cacao dans leurs confiseries. Mars a allégé ses barres chocolatées sans diminuer leur prix. Le beurre de cacao pourrait se voir remplacer discrètement par des matières grasses meilleur marché dans des pays ou la réglementation sur le chocolat est moins stricte qu’en France, comme en Chine par exemple. Comme le rappelle Stéphane Bonnat, «quand le cours du cacao a baissé, le prix du chocolat sur les étals a quand même continué à augmenter ! »
Contrairement à ce que laisse entendre la rumeur, il n’y aurait pas de pénurie de cacao à craindre mais probablement une augmentation de son prix. Les grands fabricants trouveront sûrement des expédients pour conserver leurs marges mais c’est la qualité qui risque d’en pâtir. Les amateurs de chocolat devront donc se serrer un peu la ceinture pour se délecter de ce qui se fait de mieux. Là est, in fine, la mauvaise nouvelle.
Source : http://www.atabula.com/